Bien conclure son NaNoWriMo

Créé le 27/11/2022 Stéphane Arnier

Depuis le 1er novembre, vous êtes lancés dans un défi d’écriture intense, et vous rédigez une histoire à un rythme soutenu pour atteindre les 50 000 mots à la fin du mois. Dans un premier article, nous avions passé en revue des éléments pour « bien commencer » votre Nano et votre histoire. Dans un deuxième, nous avions cherché des pistes pour ne pas bloquer et « bien continuer ». Et maintenant ? Comment rassembler tous vos fils pour bien conclure votre récit ?

La fin d’une histoire est la réponse que vous apportez à des promesses faites au départ : pour le lecteur, c’est ce qui répond à ses questions et ce qui doit engendrer un sentiment de satisfaction ; pour vous l’auteur, c’est le moment où vous arrivez au bout de votre voyage créatif et comblez vos propres attentes.

Bien conclure ? Ce qui peut poser problème.

Évidemment, en fin de Nano, après des semaines à tenir un rythme un peu fou, c’est la fatigue mentale qui peut vous faire plier. Ne vous flagellez pas si ça arrive : la plupart des auteurs pro écrivent moins de 50K mots par mois, même ceux qui ne font que ça. L’autre chose qui peut vous empêcher d’aller au bout, c’est de savoir comment conclure : vous avez des personnages qui ont fait plein de choses, et maintenant… quoi ? Comment rassembler vos fils d’intrigue pour nouer tout ça en un nœud satisfaisant ?

 

La morale de l’histoire

Le nez dans le guidon, on ne s’en rend pas toujours compte, mais nos histoires sont des moyens d’expression. L’écriture est un moyen d’expression. Nous parlons, disons des choses via nos récits. 

  • Si vous êtes plutôt de type « architecte », vous aviez sans doute déjà prévu un thème et une résolution avant de commencer : est-ce que vous disposez de tous les ingrédients pour conclure ? Sinon, lesquels vous manque-t-il ? 
  • Si vous êtes plutôt de nature « jardinier », faites une pause et prenez un pas de recul. Relisez ce que vous avez écrit. De quoi parle-t-elle, cette histoire ? Quelles sont les questions qu’elle soulève ? Les promesses qu’elle fait ? Le lecteur s’attend à ce que vous répondiez à ces attentes, alors maintenant que vous avez marché le chemin, voyez où ça mène.

Se demander « quelle est la morale de mon histoire ? » peut vous aider à clarifier votre récit, et surtout à trouver une fin adéquate qui sera satisfaisante. Quelle scène finale pouvez-vous imaginer pour que cette morale émerge ? Allez-vous vous orienter vers une fin positive ? Douce-amère ? Tragique ? C’est vous qui voyez, mais faites-le en lien avec le message que votre histoire porte. Savoir ce qu’on veut dire aide à trouver comment le dire : ça peut vous aider à comprendre comment vous devez terminer votre texte.

 



Un climax satisfaisant

Généralement, la tension d’un récit monte peu à peu jusqu’à atteindre un instant critique, un moment clef où tout se joue. Il s’agit d’un point de bascule, un moment pivot où la fin – jusqu’ici incertaine – se décide enfin. Pour que ce passage de l’histoire soit réussi, il doit satisfaire à deux critères principaux :

  • La situation doit effectivement donner l’impression d’un tournant. Quelque chose change lors de ce climax, quelque chose qui a un impact fort sur l’histoire et décide de sa conclusion.
  • Ce quelque chose doit montrer en quoi les personnages méritent cette fin (en quoi ils méritent d’atteindre leurs objectifs… ou d’échouer).

D’une façon générale, il vaut mieux que le climax soit peu ou pas influencé par la chance, au risque de donner naissance à un deus ex machina (si la situation se résout sur un coup du sort, les personnages n’en retirent aucun mérite et le lecteur n’en éprouve aucune satisfaction). Donc : quel choix, quelle décision, quelle action de vos personnages peuvent amener à la morale dont nous parlions plus haut ?

Un climax est un obstacle et devrait donc répondre aux exigences de tout obstacle digne de ce nom, à savoir :

  • Il devrait être difficile à vaincre, demander des efforts ou un coût ;
  • Il devrait être surmonté par le protagoniste lui-même. Même si ce dernier peut recevoir un peu d’aide, c’est son action/sa décision/son évolution qui doit faire pencher la balance.

Quelques schémas classiques peuvent vous aider, si vous manquez d’idées :

Vaincre sa faiblesse : alors que tout semble perdu, l’unique façon pour le protagoniste de gagner est de faire quelque chose lié à sa plus grande faiblesse. Dans un effort de volonté, il doit prendre une importante décision et se forcer à faire ce qu’il n’avait pas réussi jusqu’ici. Ce type de climax ne fonctionne que si le récit montre pourquoi le héros réussit à vaincre sa faiblesse maintenant alors qu’il n’y parvenait pas jusqu’alors (c’est le « tournant » mentionné plus haut). Mieux vaut que ça ne lui tombe pas tout cru (il doit le mériter).

Payer un coût : alors que tout semble perdu, l’unique façon pour le protagoniste de gagner est de sacrifier quelque chose auquel il tient plus que tout. Ce type de climax ne fonctionne que si le coût à payer est élevé du point de vue du personnage et si l’histoire soulignait l’attachement du protagoniste à ce qu’il sacrifie (c’est le « mérite » mentionné plus haut).

Comprendre soudain la vérité : alors que tout semble perdu, le protagoniste met bout à bout plusieurs indices et réalise soudain quelque chose qui lui avait échappé jusqu’ici. Cette « soudaine compréhension » est souvent très efficace, car elle donne vraiment au lecteur ce sentiment de twist où la situation change de façon brusque. Le fait que le protagoniste fasse ces intelligentes déductions lui accorde du mérite et rend sa réussite satisfaisante. En revanche, ce climax n’est pleinement efficace que si le lecteur a l’impression qu’il aurait pu faire ces déductions lui-même, c’est-à-dire si tous les indices sont bel et bien présents dans le texte, disséminés au long de l’histoire. Si le raisonnement qui mène à la déduction paraît tiré par les cheveux, le climax semble forcé.

 

La notion de karma

L’éditrice et théoricienne narrative américaine Chris Winkle propose de réfléchir à la notion de « mérite » des personnages au prisme de ce qu’on pourrait appeler leur « karma ». L’une des plus grandes sources de satisfaction chez le lecteur est de voir que chaque personnage « a ce qu’il mérite » à la fin, en bien ou en mal. Ce n’est pas tant la victoire du protagoniste qui est importante : s’il ne semble pas la mériter, elle n’est pas satisfaisante (et si l’antagoniste semble mériter de gagner, on sera ravi qu’il le fasse).

Les principaux axes qui jouent sur le ressenti du lecteur par rapport aux personnages sont :

  • La morale : un personnage qui fait « ce qui est juste » gagne du bon karma, tandis qu’un personnage qui agit de façon immorale cumule du mauvais karma.
  • La compétence : un personnage qui est doué et intelligent gagne du bon karma, tandis qu’un personnage incompétent cumule du mauvais karma.
  • L’effort : un personnage qui essaie de faire de son mieux, persévère ou se montre déterminé gagne du bon karma, tandis qu’un personnage qui ne fait pas d’effort ou baisse les bras cumule du mauvais karma.

Et chaque chose qu’un personnage vit ou subit dans l’histoire est perçue différemment en fonction du karma qu’il possède, dans un jeu de vases communiquant :

  • Un personnage qui subit un coup dur, c’est triste et ça augmente son bon karma s’il avait déjà du bon karma… mais c’est bien fait pour lui et ça lui retire du mauvais karma s’il en avait.
  • Un personnage qui réussit une action d’éclat, c’est injuste et ça augmente son mauvais karma s’il avait déjà du mauvais karma… mais c’est mérité et ça atténue son bon karma s’il en avait.

Ce sont des notions un peu complexes, mais qui sont intéressantes à comprendre pour réaliser comment et pourquoi les lecteurs s’attachent à vos personnages (ou pas), et surtout pour deviner leurs attentes implicites pour la conclusion. En jouant avec ces éléments, il est possible de créer une histoire satisfaisante avec le protagoniste qui perd à la fin, ou avec un adversaire qui l’emporte. Du happy end à la tragédie, tout passe par cette impression que les personnages « ont ce qu’ils méritent ».

Alors, prenez un pas de recul sur vos personnages, et passez en revue leurs actions depuis le début de votre texte : qu’ont-ils accompli, qu’est-ce qui leur est arrivé, comment se sont-ils comportés ? Qui mérite quoi ? De cette réflexion devrait naître une conclusion « qui fonctionne »… ou déjà vous donner des pistes de réécriture pour modifier plus tard des passages déjà rédigés pendant ce Nano.

 

Sentiment de progression

Pour conclure, nous terminerons sur la notion de départ de « promesses et sentiments de progression ». Les bonnes histoires font ressentir ça au lecteur : une promesse (début), une impression d’avancer vers la résolution de cette promesse (milieu), et la tenue de la promesse (fin). Mais pour vous auteurs, c’est pareil : sur ces derniers jours de Nano, vous devriez avoir ce sentiment (assez excitant, normalement) d’être sur le point d’obtenir ce que vous vous étiez promis.
Qu’est-ce que vous vous êtes promis au début de ce Nano ? Que pouvez-vous encore faire dans le temps imparti pour vous diriger vers ça ? Nous en avons déjà parlé : le compteur de mots, c’est une chose, mais vous sentez au fond de vous que ce n’est pas l’important. L’important, c’est l’histoire, c’est le texte, alors mettez-y ce que vous avez envie d’y voir.


Pour les derniers jours de ce Nano, donnez-vous comme objectif de tenir les promesses que vous vous étiez faites à vous-mêmes ! Vérifiez que votre histoire « dise quelque chose », et qu’elle dise bien ce que vous vouliez qu’elle dise ; cherchez à rendre votre scène finale satisfaisante en créant un vrai tournant et un bel obstacle en rapport avec votre message ; et vérifiez que vos personnages ont bien tous ce qu’ils méritent, qu’ils soient héros ou vilains (et si ce sont vos vilains qui méritent de gagner, ma foi, ainsi soit-il !).

Si vous atteignez l’objectif de 50K mots à la fin novembre, félicitations : vous êtes une machine. Si vous ne l’atteignez pas… bravo : vous n’êtes pas une machine. Ce n’est pas très important, tant que votre histoire a progressé et qu’elle va dans le bon sens : le sens qui vous plaît, qui vous parle et qui vous permet de vous exprimer.
J’ai aimé vous accompagner sur ces quelques articles, et j’espère que vous serez nombreuses et nombreux à vous être fait plaisir avec ce NaNoWrimo 2022. Lisez de bonnes histoires, continuez à creuser les différents aspects de la dramaturgie et de la narration, et écrivez bien ! 

Excellente fin d’année à toutes et à tous.
 

Stéphane Arnier est auteur de fantasy. Entre deux romans et un concours d'écriture, il explore dramaturgie et narration sur son blog.
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