Cinq types de protagonistes qui provoquent l'ennui

Créé le 28/02/2020 Stéphane Arnier
Cet article est l'adaptation française de Five Tropes That Make a Protagonist Boring écrit par Oren Ashkenazi.
Merci à MythCreants de l'aimable autorisation accordée à Scribbook pour la traduction et l'adaptation française de ses articles.
  En bleu, nos annotations et précisions complémentaires ajoutées à la traduction.

Tandis que l'incompétence est le croquemitaine de l'adversaire [cet article fait suite à un post intitulé "Tropes that make your villain look incompétent" - NdT], l'ennui est souvent ce qui sonne le glas du héros. Ce n'est pas le seul problème qui le menace, mais c'est peut-être le plus sérieux. Votre protagoniste doit porter le lecteur tout au long de l'histoire. Si le personnage principal est ennuyant, cela peut endommager l'histoire à un point que vous n'imaginez même pas.

Étant donné les conséquences, il est surprenant de constater à quel point les figures ci-dessous, très communes, s'allient pour rendre un protagoniste ennuyant. Apprenez à les reconnaître avant qu'elles ne s'insinuent dans vos propres histoires.

 

1. La demoiselle du héros

Bella n'a aucun pouvoir dans un livre qui parle de combats de vampires. Du coup, son petit-ami monopolise toute l'action.

Lorsque vous créez un personnage qui sera le flirt du héros, il est important de le rendre désirable. Cela semble facile : une jolie plastique et un ou deux superpouvoirs, et le tour est joué, n'est-ce pas ? Le problème est que ce personnage risque de devenir si "compétent" qu'il finira par résoudre tous les problèmes du héros à sa place. C'est encore plus commun quand le héros est une femme et qu'on lui adjoint un flirt masculin, parce que notre culture a romancé la figure de l'homme volant au secours de la femme.

Or, un héros qui ne fait rien de lui-même n'est pas intéressant. On a l'étrange impression qu'on l'a ligoté à un autre personnage par accident. Il dépend toujours de son/sa partenaire pour franchir les obstacles sur son chemin. Certaines histoires tentent de contrebalancer cela en donnant au héros un pouvoir magique secret, mais cela ne fonctionne pas. Si le personnage ne démontre pas son investissement dans l'histoire, ce superpouvoir le transforme en simple McGuffin [McGuffin = prétexte au scénario, NdT].

 

Comment faire en sorte que ça marche ?

La meilleure façon de redresser la barre est de s'assurer que la compétence de l'amoureux/se ne peut pas résoudre le problème principal de l'histoire. Si ce personnage est un excellent combattant, faite en sorte que l'histoire implique de négocier un traité de paix entre deux nations hostiles. Ainsi, le personnage pourra se servir de ses compétences, peut-être même sauver le héros du danger, mais pas prendre le premier rôle de l’histoire.

 



2. Monsieur "Je-sais-tout"

Professeur Challenger est comme Sherlock Holmes, le charme en moins. Il sait tout sur tout, et attend des autres qu'ils l'admirent pour cela.

Certains protagonistes ont toutes les réponses. Ils remarquent le moindre détail, et ont tout Wikipédia dans la tête. Depuis Sherlock Holmes, ce genre de personnage est très populaire dans les récits à mystères. Holmes ne remarque pas seulement tous les indices, mais il semble aussi posséder un savoir encyclopédique sur l'histoire et les évènements récents. Il n'est pas rare de le voir passer sans transition de la description d'une étrange empreinte à un exposé sur l'occupation britannique en Indes. Parce que bien sûr, il sait tout ça !

Même s'il peut paraître cool d'imiter le style de Conan Doyle, un protagoniste avec toutes les réponses devient très vite barbant. Une bonne partie de l'intérêt de l'histoire réside dans la résolution du mystère, et cette excitation disparaît si le héros connaît la réponse avant la fin. Et même quand il ne la connaît pas tout de suite, l'énigme perd de sa tension car nous savons que le héros n'a aucune chance de ne pas la résoudre.

 

Comment faire en sorte que ça marche ?

En premier lieu, il est très utile d'avoir un point de vue de narration qui garde le lecteur en dehors de la tête du héros. Ainsi, il est possible de créer un décalage entre le moment où le héros trouve la solution et le moment où le lecteur la découvre à son tour. C'est pour cette raison que Conan Doyle a rédigé ses livres du point de vue de Watson, et c'est aussi pour cela que la figure du personnage "je-sais-tout" est si populaire dans les séries télé (à la télévision, le spectateur ne sait pas ce que le héros pense).

Mais cela ne suffit pas. Le mieux est encore de donner à votre personnage "je-sais-tout" quelques moments où il ne sait pas tout. Ces lacunes ou erreurs doivent avoir un impact sur l'intrigue et causer des difficultés ou retards dans la résolution de l'énigme. L'effet sera renforcé si le personnage s'en amuse et ne se prend pas trop au sérieux. Dans les histoires originales de Sherlock Holmes, le personnage de Sherlock souligne souvent lui-même certaines de ses erreurs, ce qui le rend bien plus intéressant.

 

3. Le héros parfait

Le seul défaut de Sheridan est qu'il accorde trop d'importance au fait de sauver la galaxie.

Nous savons bien, nous autres dramaturges, à quel point les personnages ont besoin d'avoir des défauts. Mais les défauts, ce n'est pas cool, et que veulent les auteurs ? Que leurs personnages soient fantastiques ! Alors, parfois, ils suppriment les défauts de leurs personnages. Cela peut aboutir à un héros d'une perfection flagrante, ou à un protagoniste affublé de « faux défauts » qui tentent de compenser l'absence des vrais. Les faux défauts peuvent inclure bon nombre de choses comme le fait d'avoir des cheveux roux ou d'être trop impliqué dans le sauvetage du monde. Ce sont des éléments qui nous sont présentés comme des défauts ou des failles du personnage, mais qui en fait ne représentent pas d’obstacles crédibles.

Un personnage sans défaut rend difficile toute identification par le lecteur. Nous autres humains avons tous des défauts dans la vraie vie, et un héros sans faille sonne faux. Pourquoi le lecteur devrait-il s'investir dans cet étrange alien qui n'a même pas une mauvaise habitude digne de ce nom ? Ajouter de faux défauts rend la situation pire encore, car à l'ennui s'ajoute l'agacement. « C’est ça ton défaut ? Être trop loyal et trop honnête ? Mais bien sûr...

 

Comment faire en sorte que ça marche ?

Si vous ne voulez pas donner de défaut à votre personnage, il doit représenter un idéal avec lequel le lecteur pourra s'identifier. Cette cause ne peut pas être la propre gloire du héros, ou il deviendra insupportable en plus d'ennuyant. Le héros doit être complètement désintéressé et agir pour le bien des autres.

Choisir une bonne cause pour votre personnage est délicat, car personne n'est vraiment d'accord sur ce qu'est un « idéal noble ». En général, le mieux est de faire simple. L'espoir est un choix peu risqué. Certaines des plus populaires histoires de Superman utilisent ce héros comme un symbole d'espoir. La justice est une autre option souvent employée (il suffit de voir combien de fois le Capitaine Picard doit jouer le rôle d'arbitre neutre dans un conflit meurtrier).

 

4. L'Élu

Wil a été choisi par le destin pour être le porteur de la pierre. Il n'a jamais rien fait pour le mériter.

Certains personnages ne répondent pas à l'appel de leur propre volonté, mais à celui du destin. Qui choisit l'élu ? Cela varie d'un récit à un autre, mais le plus souvent cela implique des prophéties mystiques et des reliques anciennes. Quelquefois le héros est un gamin de ferme choisi par les Dieux pour manier une épée magique. Parfois c'est un étudiant qui hérite du pouvoir de tuer les démons. Les détails n'ont pas d'importance : le héros est "l'élu".

Bien que la plupart des gens la considère comme un cliché, cette formule demeure populaire car elle implique tout un tas d'éléments cool. Qui n'aime pas les anciennes prophéties et les armes mystiques ? Néanmoins, être l'élu rend le personnage moins intéressant. Il part avec un déficit d'autorité, car (par définition) il n'est pas le moteur de sa propre destinée. Nous avons ainsi plus de mal à nous intéresser à sa quête, parce que quelqu'un d'autre que lui tire les ficelles. De plus, cette puissante force demeure juste derrière le héros à le pousser sur sa voie, ce qui nous donne la sensation que la victoire est assurée. Il est vraiment difficile de se sentir impliqué dans une histoire où tout semble prédéterminé.

 

Comment faire en sorte que ça marche ?

Et si je vous disais qu'il existe un moyen de transformer la faille de l'élu en une force pour votre récit ? Eh bien, c'est le cas ! Tout ce que vous avez à faire est de placer votre élu en opposition avec le destin qui tente de le gouverner. C'est ce qui arrive au personnage de Aang dans la série animée Avatar : le dernier maître de l'air. Toutes les précédentes incarnations de Aang lui disent qu'il n'a pas d'autre choix que de tuer le maître du feu Ozai, mais Aang s'y refuse. Dans ce cas de figure, votre protagoniste doit désormais se battre contre ce qui - auparavant - le rendait fort.

 

5. Le "badass" maudit

Dans Man of Steel, Superman est très triste parce que ses pouvoirs le font se sentir différent.

Malheur au protagoniste affublé du lourd fardeau d'avoir des yeux laser ! Ce cas de figure se produit lorsque deux instincts d'auteur fusionnent : donner des problèmes au personnage, mais aussi lui donner des capacités cool. Combiner les deux semble une si bonne idée, n'est-ce pas ? Le personnage gagne la capacité de courir à la vitesse du son, et cela rend sa vie si difficile, sûrement parce que les gens sont si jaloux...

Ce genre de héros est ennuyant pour deux raisons. Premièrement, c'est un cliché bien trop utilisé : des X-Men à La Reine des Neiges, le plus grand problème des héros semble être que leur potentiel dépasse les limites humaines. Deuxièmement, c'est complètement malhonnête. Dans la vraie vie, les gens disposant de hautes capacités sont récompensés par un meilleur statut. Une histoire dans laquelle le héros est ridiculisé parce qu'il est capable de traverser les murs ne coïncide pas avec notre propre expérience de la réalité. Il devient plus difficile de se sentir attaché au personnage.

 

Comment faire en sorte que ça marche ?

Le problème du héros ne devrait pas venir du fait d'avoir des pouvoirs, mais cela n'empêche pas son problème d'être lié à ces pouvoirs. Dans Teen Wolf, Scott devient un loup-garou, ce qui lui vaut de nouvelles capacités. Il est plus rapide, plus fort, et récupère de ses blessures bien plus vite qu'un humain. Scott aime ses pouvoirs ! Mais être un loup-garou confère aussi une soif de sang difficile à contrôler, en particulier les nuits de pleine lune. Cela donne à Scott des problèmes intéressants à résoudre, sans donner l'impression qu'il est malchanceux d'avoir des superpouvoirs.


L'ennui est un mauvais attribut à associer à votre protagoniste. Quand le rôle du personnage est de porter l'histoire sur ses épaules, il doit être capable de retenir l'intérêt du lecteur. Si votre héros entre dans l'un des cas de figure de cet article, faites une pause et interrogez-vous : cela rend-t-il votre personnage moins intéressant ? Si oui, alors il est temps de corriger le tir, ou de retirer complètement cette figure de l'équation.

 

Stéphane Arnier est auteur de fantasy. Entre deux romans et un concours d'écriture, il explore dramaturgie et narration sur son blog.
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