NaNoWriMo : Questions / Réponses avec Lynda Guillemaud

Créé le 14/11/2021 Lynda Guillemaud

Je suis ravie de vous retrouver pour ce troisième article spécial concours Nanowrimo de Scribbook. Cette semaine, nous avons choisi avec Jonathan de vous laisser poser vos questions sur l'écriture, l'édition, l'organisation, etc. Un grand merci à ceux qui ont joué le jeu et j'espère que mes réponses vont vous apporter un éclairage sur quelques problématiques courantes quand on est auteur ou autrice, débutant ou non.

 

La première publication : roman ou nouvelles ?

IgorDelaire — Je suis à l’écriture de mon premier roman, et j’adore écrire depuis que je suis un jeune adolescent. Publier au moins un livre est un objectif de vie, et je compte bien le réaliser. L’univers que j’écris peut être vaste dans le temps et l’espace. Les idées fourmillent dans ma tête et j’ai souvent du mal à faire des choix. Alors je me suis dit qu’en parallèle du premier roman (d’un cycle d’au moins deux livres) je pouvais peut-être écrire un recueil de nouvelles. Que me conseilleriez vous ? 

C'est une question fréquente chez les primo-auteurs, notamment ceux qui se lancent dans de vastes projets (trilogies, sagas, etc.). Il est tentant de se concentrer sur ce qu'on pense être "l'œuvre de sa vie". C'est ce que j'ai fait aussi, au début, mais le premier roman que j'ai terminé n'est pas celui que j'ai publié en premier.

Aujourd'hui, je ne sais même pas si je l'aurais finalement publié, ou sans doute pas comme ça, alors que c'est ce roman que je qualifie de "doudou" (vous savez, celui qu'on traîne avec soi pendant des années...). Il faut se dire une chose : c'est certes en écrivant qu'on devient écrivain, mais surtout en se confrontant aux lecteurs. Le premier roman est rarement bon, tout simplement parce qu'il faut s'entraîner et qu'on mûrit son écriture, sa narration et sa technique au fur et à mesure des livres. Tout ça pour dire qu'il ne faut pas retarder la parution de son premier livre parce qu'on veut qu'il soit parfait : il ne le sera de toutes façons pas, même si vous y passez vingt ans !

Pour Igor, se faire la main avec des nouvelles est une bonne idée, ne serait-ce que pour tester votre univers ou votre écriture, mais aussi la réception des lecteurs. ça permet aussi d'explorer d'autres thèmes ou d'autres types de narration. Le "gros" roman n'en sera que bonifié, puisque vous aurez acquis de l'expérience avec ces nouvelles. 

Le seul bémol, c'est le temps : il faut avoir du temps à consacrer à l'écriture de ces textes. Mais, d'un autre côté, ça peut être un moyen de creuser certains aspects de l'univers. Par exemple en fantasy ou en SF, les nouvelles peuvent être des préquels ou des mythes fondateurs. Elles peuvent aussi être des histoires parallèles avec des personnages secondaires du roman principal.



La réécriture du premier jet

Mandywil — Pour ma part, j'aimerais savoir comment vous planifiez/gérez votre premier jet, et comment vous abordez la réécriture de vos romans, une fois le premier jet terminé ? Avez-vous une stratégie bien établie pour le premier jet, puis la correction et son suivi ? Quelles en sont les étapes ?

Vaste question, elle vaudrait un article à elle toute seule ! D'ailleurs, je compte en publier un prochainement sur mon blog, car c'est justement l'étape que je suis en train d'aborder avec mon 8e roman en cours d'écriture. 

Le statut du premier jet

Je considère le premier jet comme une vaste montagne de matière à travailler. Je n'envoie jamais ce premier jet directement en bêta-lecture, il y a toujours une première phase de réécriture que je mène par moi-même. Depuis mon 4e roman, j'essaie de ne démarrer le premier jet que lorsque j'ai un plan plus ou moins détaillé, afin de pouvoir écrire sans me poser de questions sur le déroulement de l'histoire. Mais ça reste de la théorie, car les personnage prennent parfois des directions insoupçonnées qui m'obligent à revoir le plan en cours de route.

Pour mon roman en cours, j'ai mis environ 5 mois pour produire le premier jet, mais j'ai été très lente à démarrer. En revanche, le premier jet du Sang des Lumières, mon 2e roman historique, a été écrit en 2 mois (2 Nanowrimos, en fait). C'est donc très variable.

Les étapes de la réécriture

Une fois que je suis venue à bout de mon premier jet, je laisse reposer sans y toucher (là, j'ai mis 15 jours et j'ai très envie de m'y replonger, c'est bon signe). Pour la première réécriture, je ne vais pas me lancer tout de suite dans le premier chapitre et corriger les fautes. 

Les étapes vont être les suivantes :

  • Je vais d'abord relire la totalité du manuscrit, en prenant des notes sur ce qui ne va pas, ce qu'il faut étoffer, enlever ou déplacer.
  • Ensuite, je vais retravailler les arcs narratifs de mes personnages à la lumière de ma relecture d'ensemble : corriger des traits qui ne collent plus, approfondir un personnage, etc.
  • Puis je vais reprendre toute la structure, scène par scène, pour voir si elles sont toutes à leur place, s'il en manque, s'il y en a d'inutiles. En gros, je réécris le synopsis pour qu'il corresponde à la fois à ce que j'ai écrit dans le premier jet et à ce que je veux avoir en version finale.
  • C'est seulement à ce moment-là que je vais prendre chaque scène l'une après l'autre et la corriger/réécrire.

Ensuite, ce deuxième jet va être de nouveau relu dans sa globalité, puis je l'enverrais en bêta-lecture. Les remarques de ces lecteurs en avant-première vont me permettre d'améliorer le manuscrit et corriger les défauts. Puis, la dernière étape consiste en la correction du texte en lui-même (orthographe, grammaire...) et la mise en page.

 

L'organisation pour écrire et trouver du temps

Rabab Chnf Bcrd — Bonjour, ma question concerne l'organisation du temps. Comment avez-vous réussi à concilier vie professionnelle, vie familiale et l'écriture de votre premier roman ? Combien de temps avez-vous mis à l'écrire ?

Le temps nécessaire pour écrire un roman

Mon premier roman n'est pas un exemple, car je l'ai commencé à 15 ans et je l'ai publié 27 ans après (en 2015). Depuis, j'essaie d'être plus régulière, avec l'objectif de publier un roman par an. Mais chaque étape créative prend du temps et ce temps dépend de beaucoup de paramètres qui sont très personnels. Pour donner un ordre d'idée, j'estime avoir besoin d'entre 18 mois et 2 ans pour écrire un roman entre 60 et 80 000 mots (comme Un pont sur l'eau trouble ou Les ombres de Brocéliande, par exemple).

J'exclue de cette durée toute la phase de maturation de l'idée, ce que j'appelle la marinade. Elle peut en effet prendre 1 mois comme 10 ans. Par exemple, j'ai une vague idée du fil conducteur de l'histoire de mon 9e roman, le tome 3 de ma saga des Lumières, depuis que j'ai terminé le tome 2. Cependant, je n'ai pas encore travaillé dessus, je note des bribes quand ça me vient, des idées éparses, mais je n'ai pas esquissé l'ombre d'un plan ni même d'un synopsis : ça mûrit. Mais ça mûrit de plus en plus et je sais que je vais être prête à m'y coller dès que j'aurais fini mon roman en cours. Cela dit, cette marinade peut être rapide : pour Roman 8, j'avais le thème depuis longtemps, mais le fil conducteur est venu en quelques jours de réflexion. 

Je mets à part aussi les recherches et la documentation, car je les mène souvent en parallèle de l'écriture. Pour les romans historiques, elles peuvent intervenir avant l'écriture du synopsis, surtout si je m'appuie beaucoup sur l'histoire. En réalité, les recherches préalables font parfois partie de la phase de maturation.

Une fois l'idée fixée, mon travail sur le roman se répartit à peu près ainsi :

  • Ecriture du synopsis, définition des personnages et des arcs narratifs : 1 à 3 mois
  • Préparation du plan et des différentes scènes : 1 mois
  • Ecriture du premier jet : 2 à 6 mois
  • Repos : 15 jours à 1 mois
  • Première réécriture : 3 à 4 mois
  • Bêta-lecture : 2 mois (souvent c'est le moment où je cogite sur le prochain roman !)
  • Corrections éditoriales avec les retours des bêta-lecteurs : 2 à 4 mois
  • Relecture d'ensemble, corrections orthographiques et formatage : 1 à 2 mois

Encore une fois, il s'agit de mon organisation et de mon rythme : certains auteurs vont aller beaucoup plus vite et d'autres plus lentement. Et ça peut même varier d'un roman à l'autre pour moi. Disons que ce sont des durées indicatives qui me permettent de planifier les séances d'écriture dans mes journées. Ce qui m'amène à l'autre question.

Trouver le temps pour écrire

Dans le planning précédent, quand je parle d'un mois, ça ne veut pas dire que je suis à temps complet sur le roman, bien au contraire. Aujourd'hui, j'ai environ 3 séances d'écriture par semaine, théoriquement de deux heures, mais je déborde souvent (c'est pour ça qu'elles sont en fin de journée). Je travaille donc entre 6 et 10h par semaine sur mon roman (24 à 40h par mois).

J'ai planifié toutes mes sessions dans mon emploi du temps parce que je considère que ça fait partie de mon activité professionnelle.

Lorsque j'étais salariée, je les planifiais aussi, mais le soir après le dîner. Ça demande une certaine discipline, mais quand on veut publier un livre, il faut s'en donner les moyens. Je regarde peu la télé, donc je consacrais facilement mes soirées à écrire. Aujourd'hui, comme j'essaie d'écrire dans la journée, mes soirées sont plutôt pour lire ou me reposer.

Cela dit, le fait est que j'ai complètement mis de côté l'écriture entre mes premiers pas au travail et la publication, c'est-à-dire pendant 27 ans. Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire, mais mes priorités étaient ailleurs. Une fois que mes filles étaient plus grandes, ma carrière bien installée, tout ça, j'ai ressenti le besoin de revenir à l'écriture. Il y a sûrement un phénomène de cycle. 

Une chose est sûre : une fois que j'ai décidé de faire de l'écriture mon métier, j'ai posé le principe que mes journées devaient comporter des moments dédiés à ça. Et pas juste "quand j'ai le temps" ou, pire "quand j'ai envie". C'est le meilleur moyen de ne rien faire. Mon conseil est donc de se bloquer du temps dans son agenda pour écrire, comme on fixe un rendez-vous chez le médecin ou une séance de sport. Ça n'a pas besoin d'être des sessions de 2 ou 3h, sauf si vous en avez la possibilité. Dix à trente minutes par jour permettent d'avancer sur son manuscrit !

 

La construction des personnages

Lili Richier — Je suis curieuse de savoir comment vous construisez vos personnages, la façon dont vous leur donnez vie.

Je ne suis pas une experte en construction de personnages, je me dis même que c'est un peu mon point faible. Le fait est que mes romans comportent en général assez peu de personnages (5-6 en général). Autant j'arrive assez bien à caractériser mes personnages principaux, autant les secondaires sont plus effacés. 

Pour les construire, je n'utilise pas de fiches personnages, je trouve ça trop artificiel. Je ne leur attribue pas non plus une photo d'acteur ou de personne connue pour l'identifier. En revanche, j'essaie de me les imaginer, comme si je décrivais un film ou une série.

La plupart du temps, mes personnages se dévoilent et se construisent au fur et à mesure de l'écriture. J'ai une vague idée de ce qu'ils sont, ce qu'ils veulent et de ce qui va leur arriver dans le roman, mais c'est tout. Et, quelquefois, ils vont à l'encontre de ce que j'ai envisagé. Par exemple, dans mon roman en cours d'écriture, j'ai imaginé une idylle entre deux personnages. Sauf qu'en écrivant, à chaque fois, cette relation amoureuse ne naissait pas, elle ne venait pas naturellement à l'écriture. J'ai laissé passer, mais je me demande si, à la réécriture, je ne vais pas supprimer purement et simplement cette liaison, puisque d'elle-même elle n'est pas évidente.

Lors de la réécriture, je passe aussi souvent par une phase d'écriture de la biographie de chaque personnage. Normalement, il faudrait le faire avant d'écrire, mais moi je n'y arrive pas. Il faut que mes personnages vivent dans le roman pour que j'arrive à les caractériser.

 

Le travail de recherche en amont de l'écriture d'un roman

Absolem [Grand'Père] — J'ai une question sur le travail de recherche en amont, d'autant que tu écris des romans historiques. Comment procèdes-tu pour ne pas te noyer sous des informations inutiles, vu qu'une information trouvée peut parfois mener à plus de questions ou pistes d'inspiration ?

Tout est affaire de choix. Avec le temps et l'expérience (la vieille qui parle !????), j'ai appris à me détacher de cette envie de vouloir tout raconter, tout expliquer, tout dire. En tant que romancière, je n'écris pas un livre d'histoire. C'est pour ça que je limite pas mal les recherches documentaires, dans le sens où je n'effectue que celles qui servent mon histoire. 

Pour Le Sang des Lumières, j'ai lu, avant de me mettre à écrire, deux biographies (entre autres) : une sur Louis XVI et une sur Robespierre. Ce sont elles qui ont guidé (et peut-être aussi orienté) mon synopsis. Ensuite, j'ai fait mes recherches plutôt en parallèle de l'écriture, mais pour vérifier un point de détail ou approfondir un thème.

Je pense que pour ne pas se noyer sous des informations inutiles, il faut avoir une idée relativement précise de ce qu'on veut raconter dans le roman. Il faut aussi savoir jusqu'à quel degré de précision on veut aller. Par exemple, pour revenir au Sang des Lumières, j'ai évoqué Napoléon, mais je n'avais pas envie d'en faire un personnage de premier plan, contrairement à Robespierre par exemple. J'ai donc réduit les recherches à son sujet (ça évite aussi de se faire embarquer dans des pistes qu'on n'a pas envisagées au départ). 

Si par moment mes recherches ont fait naître des idées intéressantes, j'ai fait des choix et parfois renoncé à explorer certains développements. Pour t'orienter lorsque tu es confronté à ce genre de problème, tu peux te poser les questions suivantes :

  • Est-ce que cette idée est exploitable sans remettre en cause tout mon synopsis ? 
  • Est-ce qu'elle est crédible par rapport à mes personnages ? 
  • Est-ce qu'elle apporte réellement quelque chose à la narration ?

Enfin, il faut se dire que ce qui ne sert pas pour ce roman pourra peut-être trouver sa place dans un autre. Je n'exclus pas de donner plus d'importance à Napoléon dans le tome 3 des Lumières, par exemple !

 

Le découpage en scènes et le déroulement

Nwounwou — Je voulais savoir comment tu fais pour planifier tes romans en termes de chapitre, scène, etc. pour avoir quelque chose de fluide. J'ai des gros soucis de déroulement de scènes en termes de logique et d'apport d'informations à donner au lecteur.

Autant je planifie énormément l'écriture de mes romans, autant je laisse beaucoup de latitude au contenu pour se dérouler comme il l'entend. Je veux dire que je n'ai pas forcément une idée précise, dès le départ, du moment où je vais donner telle information ou telle autre. D'ailleurs, je pense que j'ai plusieurs fois donné la même info dans mon Roman 8 et c'est à la première réécriture que je vais corriger ça.

Quand je disais plus haut que le premier jet était pour moi un tas de matière à travailler, c'est aussi pour ça : je laisse ma plume défiler sans me soucier de la cohérence ou de la fluidité. Ces éléments arrivent après, à la réécriture. En relisant, je vais me dire que tel élément devrait être dévoilé plus tôt ou au contraire plus tard, je supprime les doublons, je remets de la cohérence.

Pour ce qui est du découpage en tant que tel, c'est pareil. Je fais un premier découpage lorsque je fais mon plan de scènes à partir du synopsis. Il arrive qu'à l'écriture, une scène trop longue se retrouve coupée en deux. Ou une scène que j'ai prévue se révèle inutile. 

Une autre astuce : je planifie mes scènes non seulement en me demandant ce qu'elles doivent apporter à l'histoire, mais je réfléchis aussi à comment elles vont se dérouler. C'est le fameux "show don't tell" (montre et ne dis pas). Pour donner un exemple, si j'ai prévu une scène où X tombe amoureux de Y, je ne me contente pas de planifier ma scène en mettant "X tombe amoureux de Y". J'essaie de décrire dans quelles circonstances, où X et Y se trouvent, ce qu'ils font à ce moment-là, voire ce qui va déclencher le coup de foudre.


Voilà, cet article était très très long, mais les questions étaient super intéressantes. J'espère que mes réponses le sont tout autant ! Si vous avez d'autres questions à me poser, n'hésitez pas à m'envoyer un petit message sur les réseaux sociaux ou via mon blog. On se retrouve la semaine prochaine pour un dernier article sur l'après-nano. En attendant, je vous souhaite une bonne écriture !

Lynda Guillemaud est rédactrice web et romancière. Plongée dans l'écriture depuis plus de 20 ans, elle a écrit 7 romans, historiques ou contemporains, dont 2 ont été publiés chez des éditeurs traditionnels. Diplômée en journalisme, en histoire et en communication, elle partage son univers sur son blog L'espace du dehors.
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