Qu’est-ce que les écrivains doivent décrire ?

Créé le 18/04/2022 Stéphane Arnier
Cet article est l'adaptation française de What Do Writers Need to Describe? écrit par Chris Winkle.
Merci à MythCreants de l'aimable autorisation accordée à Scribbook pour la traduction et l'adaptation française de ses articles.
  En bleu, nos annotations et précisions complémentaires ajoutées à la traduction.

Si vous ne décrivez pas les bonnes choses dans le bon ordre, cela peut briser l’immersion et déconcerter le lecteur.

Écrire une bonne description signifie savoir comment décrire quelque chose, mais aussi savoir qu’est-ce que vous devriez décrire. Si la description est fournie dans le mauvais ordre, si quelque chose de crucial est laissé de côté, ou si l’on met l’emphase sur un élément trivial, cela peut briser l’immersion et déconcerter le lecteur. Passons en revue les éléments à garder en tête lorsque l’on décide où placer la description et jusqu’à quel point vous devez décrire.

 

Conserver la focalisation

La première considération lorsqu’il s’agit d’écrire une description est le personnage dont vous adoptez le point de vue, si tant est que vous écriviez en narration focalisée. Pour une expérience immersive et fluide, vous devriez rester autant que possible dans la tête du personnage.

La description devrait être présentée dans le même ordre que celui dans lequel le personnage en fait l’expérience. Parfois, c’est à vous de décider de cet ordre. Si votre personnage de point de vue ouvre une porte, il pourrait sentir l’air chaud sortir avant de voir ce qu’il y a de l’autre côté. Ou si la chaleur n’est pas si intense, il pourrait à la place regarder par l’interstice, entrer à l’intérieur et alors seulement remarquer qu’il y fait plus chaud. Cependant, s'il tombe dans l'eau et remarque les cailloux au fond avant de réagir au froid, cela semblera étrange.

Ce à quoi le personnage de point de vue fait attention doit aussi avoir un impact sur votre description. Par défaut, les gens remarquent ce qui est gros ou frappant. Si le personnage traverse un portail ou que la famille royale apparaît, les lecteurs vont s’attendre à une description. Si vous ne mentionnez pas les caractéristiques importantes lorsque le personnage de point de vue les remarque pour la première fois, cela sera déconcertant lorsque vous les ajouterez plus tard. Par exemple, prenons cet extrait tiré de Eragon :

Pendant que les Urgals s'abattaient à travers les arbres, l'Ombre escaladait un promontoire de granit qui les surplombait. De son perchoir, il pouvait voir toute la forêt environnante.

C'est la première fois que ce pic de granit est mentionné, et la scène se déroule à cet endroit depuis un certain temps. Attendre jusqu’à ce moment pour le mentionner donne l'impression qu'il vient d’apparaître comme par magie.

De la même manière, si le personnage de point de vue a une raison de se concentrer sur quelque chose, cela devrait être décrit avec plus de détails, car la description indique l’endroit où se porte son regard. Au début de Le Sang des elfes de la série The Witcher, il y a une scène étrange où le personnage de point de vue, Ciri, se réveille d'un cauchemar et examine tout ce qui l’entoure… sauf l'homme qui est en train de lui parler et lui pose une main sur la joue.

« Ciri. Calme-toi. »

La nuit était sombre et venteuse, les cimes des pins environnants bruissaient régulièrement et mélodieusement, leurs branches et leurs troncs craquant dans le vent. Il n'y avait pas de feu malveillant, pas de cris, seulement cette douce berceuse. À côté d'elle, le feu de camp scintillait de lumière et de chaleur, le reflet des flammes brillait sur les boucles des harnais, rougeoyait sur la poignée gainée de cuir et cerclée de fer d'une épée appuyée contre une selle posée au sol. Il n'y avait pas d'autre feu et pas d'autre fer. La main contre sa joue sentait le cuir et la cendre. Pas le sang.

Même si elle a une raison de regarder autour d’elle, elle devrait naturellement se concentrer sur lui en premier. Et elle devrait probablement lui prêter plus d’attention qu’à une épée appuyée contre une selle posée au sol. Il est particulièrement étrange que ce paragraphe décrive sa main, mais pas le reste de sa personne. C'est comme si quelqu'un avait pris des ciseaux et l'avait coupée de la scène.

Jetons un œil à un autre exemple tiré du début de Eldest. Dans ces lignes, Eragon repère l’elfe dont il est amoureux.

Parmi eux se trouvaient Orik – le nain se balançant impatiemment d’un pied sur l’autre sur ses jambes robustes – et Arya. Le bandage blanc autour de son bras brillait dans l'obscurité, reflétant une légère aura brillante sur le bas de ses cheveux. Eragon ressentit un étrange frisson, comme à chaque fois lorsqu'il voyait l'elfe. 

Se concentrer autant sur le bandage serait acceptable si le personnage de point de vue apprenait la blessure pour la première fois et s’en inquiétait, mais ce n'est pas le cas. Au lieu de cela, il ressent un « étrange frisson » par la suite. Cela nous fait vraiment nous interroger à son sujet.

Les personnages de point de vue ne peuvent pas voir partout à la fois. Si vous voulez décrire quelque chose alors que votre personnage de point de vue regarde dans la direction opposée, une bonne méthode consiste à décrire qu’il entend un son derrière lui et qu’il se tourne alors pour en chercher la source. Si vous décrivez l’herbe, puis un nuage dans le ciel, pour finir par une pierre sur le sol, cela suggère soit que le personnage hoche beaucoup la tête, soit que vous êtes sorti de son point de vue.

N’essayez pas d’être mystérieux à propos de ce que le personnage de point de vue perçoit. Il peut échouer à distinguer quelque chose ou avoir du mal à comprendre ce qu'il voit, mais son vécu doit être clair. Par exemple, prenons cet extrait tiré du cauchemar de Ciri dans le même chapitre de Le Sang des Elfes :

La peur incarnée dans la figure d'un chevalier noir portant un casque orné de plumes figées contre le mur de flammes rouges déchaînées.

Le cavalier éperonne son cheval, les ailes de son casque battent tandis que l'oiseau de proie prend son envol. 

Ciri a-t-elle vu les plumes se transformer en cet oiseau de proie ? Nous ne savons pas. On nous dit qu'il y a des plumes sur le casque, puis dans le paragraphe suivant, il est simplement appelé oiseau. C'est plus déconcertant que mystique.



Utiliser le point de vue omniscient à la place

Si vous écrivez avec un point de vue omniscient plutôt que focalisé, les règles changent un peu. Vous n’avez pas de personnage de point de vue, mais cela ne veut pas dire que vous pouvez décrire les choses à l’avenant. Le narrateur devrait peindre un tableau facile à comprendre plutôt que de donner des détails confus. Il devrait aussi éviter de s’appesantir trop longtemps à propos de quoi que ce soit qui ne serait pas pertinent pour l’histoire. Sans être guidé par un personnage de point de vue, vous devez avoir une réelle intention au sujet de ce que vous décrivez et de l’effet que vous souhaitez créer.

Cependant, vous pouvez omettre ce que le personnage voit ou inclure des choses qu'il ne voit pas. Prenons l'exemple de Terry Pratchett dans Gardes !

Mais il y eut soudain un autre son, le son étrange d'une porte qui s'ouvrait en grinçant. Des pas étouffés traversèrent la pièce et disparurent entre les étagères. Les livres bruissaient avec indignation, et certains des plus grands grimoires secouaient leurs chaînes.

Le bibliothécaire s'endormit, bercé par le chuchotement de la pluie.

C’est une description mystérieuse qui inclut seulement « des pas » pour indiquer la présence d’un antagoniste, et le bibliothécaire ne les entend même pas parce qu’il dort.

De même, Patrick Rothfuss nous offre un intéressant passage au début de Le Nom du Vent dans lequel un monstre est décrit par le dialogue.

« Ce n'est pas une araignée », déclara Jake. « Ça n'a pas d'yeux. »

« Il n'a pas de bouche non plus », souligna Carter. « Comment ça mange ? »

« Qu'est-ce que ça mange ? » dit Shep sombrement.

L'aubergiste continua d’observer la chose avec curiosité. Il se pencha plus près, tendant la main. Tout le monde s'éloigna encore plus de la table.

« Attention, » dit Carter. « Ses pieds sont tranchants comme des couteaux. »

« Plus comme des rasoirs,» dit Kote. Ses longs doigts effleurèrent le corps noir et sans trait du scrael. « C'est lisse et dur, comme de la poterie. »

L'aubergiste, Kote, est le personnage principal, mais pour créer plus de mystère autour de cette créature, Rothfuss ne dit pas aux lecteurs ce que Kote voit. Cela la rend plus menaçante.

Vous pouvez également définir une description omnisciente en termes de ce qu'un personnage éprouve, mais cela nécessite de l'attribuer clairement au personnage en ajoutant des incises telles que « virent-ils », « entendit-elle » ou « remarqua-t-il ». C’est quelque chose que vous devriez éviter de faire lorsque vous avez un personnage de point de vue, car cela ajoute de la distance narrative. Cela signifie que même si  le point de vue omniscient peut créer un effet similaire à celui d'une narration focalisée, cela est moins immersif. Si vous vous retrouvez à le faire souvent, vous utilisez peut-être la mauvaise narration.

Pour un exemple de ce qui se passe lorsqu'une description omnisciente est mal attribuée, penchons-nous à nouveau sur Le Nom du vent.

Graham nota la différence. Les gestes de l'aubergiste n'étaient pas aussi extravagants. Sa voix n'était pas aussi grave. Même ses yeux n'étaient pas aussi brillants qu'il y a un mois. Leur couleur semblait plus terne. Elle était moins écume de mer, moins herbe verte qu'avant. Maintenant, ils étaient comme des algues, comme le fond d'une bouteille en verre. Et ses cheveux avaient été brillants auparavant, la couleur de la flamme. Maintenant, ils semblaient… roux. Juste roux, vraiment. 

En mettant « Graham nota la différence » comme première phrase du paragraphe, Rothfuss suggère que cette description est du point de vue de Graham. Mais la préoccupation de Graham de savoir si la couleur des yeux de Kote est la couleur de l'écume de mer, de l'herbe verte, des algues ou de la bouteille en verre suggère fortement que Graham a le béguin pour Kote. Puisque Graham n’est qu’un figurant, je ne pense pas que c'était l'intention ici.

 

Décrire les éléments utiles à l’intrigue

Vous avez peut-être entendu parler du principe théâtral appelé le fusil de Tchekhov : si vous montrez un fusil accroché au mur dans l'acte I, il vaut mieux qu'il tire à la fin de l'acte III, car c'est ce à quoi le public s'attend. Bien que cela puisse être vrai dans la narration, l'inverse est encore plus important. Si vos personnages retirent une arme du mur, il vaut mieux qu'elle ait été là avant eux.

La première raison à cela est simplement qu’un fusil frappe les esprits et serait remarqué. Mais même sans cela, le fusil a besoin d’être décrit plus tôt, parce qu’un personnage l’utilisera dans un conflit lié à l’intrigue. Si votre protagoniste décroche un fusil du mur qui n’était pas là auparavant et l’utilise pour battre un antagoniste, alors vous avez un deus ex machina sur les bras. Même si le protagoniste ne jette qu’un bocal de billes au sol pour ne pas être poursuivi facilement, ce bocal de billes doit être mentionné plus tôt dans le texte.

Cette règle est plus flexible en ce qui concerne les antagonistes. Un méchant peut sortir de sa manche quelque chose dont le protagoniste ignorait l’existence, et les lecteurs aussi. Il peut saisir un poignard sous sa cape ou révéler une trappe qui lui permettrait de s'échapper. Tant qu'il est plausible que ce soit resté hors de vue, tout va bien.

Si le méchant attrape quelque chose d'assez insignifiant, mais qui était en vue, comme le pot de billes, il vaut peut-être mieux le décrire à l'avance. Cependant, ce n'est pas aussi important que si c’est le protagoniste qui l'utilise.

Vous n'avez pas à décrire les éléments qu’on s’attend normalement à trouver dans l'environnement de la scène. Par exemple, les lecteurs s'attendent à ce que les cuisines contiennent des couteaux de cuisine. On admet qu’il est possible pour un protagoniste ou un antagoniste de saisir un couteau dans la cuisine sans établir spécifiquement qu'il y a des couteaux dedans.

 

Définir les attentes

La quantité de description que vous utilisez définit les attentes du lecteur pour ce qui sera important dans votre histoire. Si vous décrivez un personnage en détails, les lecteurs penseront que ce personnage est important. En général c'est une bonne chose, car ils prêteront plus d'attention au personnage et s'en souviendront mieux. Mais s'ils pensent qu'un simple figurant est important, il pourrait leur manquer plus tard.

Lorsque vous avez des raisons de le faire, vous pouvez jouer avec ces attentes. Peut-être que vous voulez faire oublier aux lecteurs votre méchant surprise ou mettre en avant un personnage avant de révéler qu'il n’est pas votre héros. Par exemple, au début de La Cité des Ténèbres de la série The Mortal Instruments, l'auteur Cassandra Clare part du point de vue de son personnage principal, Clary. Elle ne décrit pas son personnage principal, mais elle établit que Clary tombe sous le charme d’un mystérieux garçon dans le club qu'elle fréquente. Puis Clare saute au point de vue du garçon, révélant qu'il est un démon qui s'attaque aux humains. Une fille s'approche de lui, et comme cette fille est décrite en détail, il est plus facile de supposer que c’est Clary qui s’approche.

Bien que jouer avec les attentes des lecteurs puisse être amusant, il est facile de mettre l’accent accidentellement sur de petits détails jusqu’au point de les rendre étrangement importants. Au début de Dawn of Wonder, un écureuil occupe le devant de la scène.

Directement au-dessus d'un chemin de campagne, un jeune écureuil était accroché à la branche d'un vieux noyer. Les poils fauves s'élevaient sur tout son corps et tremblaient alors que la mousse commençait à picoter sous ses pattes.

L'immobilité profonde et frémissante s’empara des bois. Dans et parmi les arbres, fourrures et plumes tremblaient, prises dans un étau. L'écureuil n'avait peut-être pas les mots pour décrire ce qui s’insinuait dans son esprit, mais de la même manière qu'il connaissait la terreur des dents de chacal et l'attrait des hautes branches, une conscience indistincte mais effrayante prenait forme. Quelque part, à plusieurs kilomètres de distance, quelque chose s’étirait, changeait… s'éveillait.

Puis la sensation passa aussi rapidement qu'elle était arrivée et l'écureuil relâcha son souffle et regarda autour de lui. Il leva une patte et examina l'écorce moussue, renifla et tourna rapidement les yeux vers le sol, les feuilles, le ciel – en vain. Comme auparavant, il n'y avait aucune réponse à trouver. C'était la deuxième fois depuis l'hiver que ce frisson alarmant déferlait dans l'air, s’évanouissant ensuite sans laisser de trace. 

C'est une très longue séquence au sujet d’un écureuil. Je me demandais si c'était un sorcier déguisé, mais c'est juste un écureuil normal qui n'est plus montré par la suite.

Dans Eragon, un casque est mis en exergue plus que toute autre partie de l'armure d'un elfe, ce qui donne l'impression qu’il sera important pour l’intrigue ou que c'est la seule pièce d’armure que l’elfe porte.

Le dernier cavalier avait le même visage clair et les mêmes traits anguleux que l'autre. Il portait une longue lance dans sa main droite et un poignard blanc à sa ceinture. Un heaume d'un savoir-faire extraordinaire, forgé d'ambre et d'or, reposait sur sa tête.

Définir les bonnes attentes ne signifie pas que vous ne pouvez pas mettre en évidence de petits détails dans une grande scène. Au contraire, cela rend la description plus vivante. Cependant, vous devez faire attention à ne pas gonfler leur importance.

  • Choisissez plusieurs détails à mettre en évidence. Trois est un bon nombre.
  • Choisissez-les variés, afin qu’ensemble ils représentent bien la scène.
  • Donnez-leur une importance à peu près égale.
  • Ne leur consacrez pas plus de quelques lignes.
  • Ne les mentionnez plus à moins que la raison pour laquelle vous le faites soit claire. Peut-être avez-vous décrit une arme qui est maintenant utilisée dans un combat, ou alors l'objet fait partie d'une blague récurrente.

Dans ma refonte de description qui inclut les cavaliers elfes d'Eragon, j'ai réécrit le passage afin que l'ambre et l'or soient toujours mentionnés, mais au niveau de l’armure tout entière. Comme l'un de ces cavaliers elfes est Arya, l’elfe dont Eragon est amoureux, j'ai plutôt mis l'accent sur elle.

EXEMPLE

Trois elfes se dirigeaient vers l'embuscade sur des montures d'argent ondulantes. Le clair de lune se reflétait sur l'armure de plaques des premiers et derniers cavaliers, révélant des gravures d'or et d'ambre. La silhouette entre eux chevauchait sans les flèches empennées de cygne ou les lances polies de ses congénères, et elle ne portait que de la laine unie. Pourtant, elle les éclipsait, car ses mèches couleur corbeau encadraient un visage de porcelaine aux yeux clairs comme une source, et à travers eux la tradition de villes déchues et de vallées cachées contemplait le monde. 

 

Décrire trop ou pas assez

Le volume de descriptions d’une histoire est quelque part une affaire de goût, mais naturellement il y a des limites. Donc si vous adorez écrire des descriptions ou que vous détestez ça, comment définir où se trouvent ces limites ?

 

Qu’est-ce qui est trop ?

L'ouverture de L’Épée de Shannara comprend beaucoup de descriptions.

Le soleil s'enfonçait déjà dans le vert profond des collines à l'ouest de la vallée, le rouge et le gris-rose de ses ombres touchant les coins du pays, lorsque Flick Ohmsford commença sa descente. La caution s'étendait de manière inégale le long du versant nord, serpentant à travers les énormes rochers qui parsemaient le terrain accidenté en touffes massives, disparaissant dans les forêts épaisses des basses terres pour réapparaître en de brefs aperçus dans de petites clairières et des espaces boisés éclaircis. Flick suivit du regard la piste familière alors qu'il marchait péniblement, son sac léger en bandoulière sur une épaule. Son large visage brûlé par le vent avait un air figé et placide, et seuls ses grands yeux gris révélaient l'énergie agitée qui brûlait sous l'extérieur calme. C'était un jeune homme, bien que sa carrure trapue, ses cheveux bruns grisonnants et ses sourcils hirsutes le fassent paraître beaucoup plus vieux. Il portait les vêtements de travail amples des habitants de Vale et dans le paquet qu'il gardait, il y avait plusieurs outils métalliques qui roulaient et cliquetaient les uns contre les autres.

Il y avait un léger frisson dans l'air du soir, et Flick serra le col de sa chemise en laine ouverte plus près de son cou. Son voyage traversait les forêts et les plaines vallonnées, ces dernières encore invisibles tandis qu'il passait dans les bois, et l'obscurité des grands chênes et des noyers sombres s'élevait pour se chevaucher et effacer le ciel nocturne sans nuages. Le soleil s'était couché, ne laissant que le bleu profond de la voûte marquée de milliers d'étoiles amicales. Mais les énormes arbres masquaient même cela, et Flick resta seul dans l'obscurité silencieuse alors qu'il se marchait lentement le long des sentiers battus. 

C'est trop. Bien que cela puisse être trop long dans n'importe quel contexte, le contexte ici aggrave la situation. C'est l'ouverture même du livre, les tout premiers mots. La forêt et les collines décrites par Terry Brooks ne sont pas particulièrement remarquables, elles n'ont donc pas la  nouveauté qui pourrait divertir les lecteurs. Dans ce passage, la caractérisation de Flick est la plus pertinente pour l'histoire, mais Flick n'est pas réellement le personnage principal. L'extrait compte de nombreux mots pour nous en dire finalement très peu.

Des extraits aussi longs rencontrent le problème N°1 des descriptions interminables : l'ennui du public. Pour cette raison, je ne conseille pas d’écrire une description pure qui serait plus longue qu'un gros paragraphe. En choisissant des mots percutants, vous pouvez faire beaucoup de choses dans un seul  paragraphe. Si vous voulez décrire encore plus, faites avancer l'histoire et laissez le protagoniste observer plus de choses au fur et à mesure qu'il les rencontre. Mettre des éléments clés de description au fur et à mesure que des actions importantes se déroulent aide beaucoup.

Cela m'amène au deuxième problème : cela peut saboter le rythme. Cela compte surtout dans les séquences qui doivent être rythmées, comme les scènes d’action et de dialogue. Parce que chaque mot de la narration suggère le temps qui passe, la description peut rapidement créer l'impression qu'un personnage met une minute entière pour répondre à une question ou simplement pour dégainer son épée. Dans ce cas, vous devez soit couper votre description chérie, soit créer une raison pour laquelle il y a une pause dans la scène.

 

Qu’est-ce qui n’est pas assez ?

Dans l'ouverture de L’Éloquence de l’Épée, Joe Abercrombie nous balance cela au sujet des Shanka/Têtes plates dans le deuxième paragraphe.

Il aurait dû essayer de revenir, mais les Shanka étaient partout. Il pouvait les sentir bouger entre les arbres, son nez était plein de leur odeur.

Les lecteurs n'ont aucune idée de ce qu'ils sont, ce à quoi ils ressemblent ou ce qu’ils sentent, même si leur odeur est mentionnée ici. Immédiatement après ça, le personnage de point de vue se bat avec l’un d’eux, mais Abercrombie ne les décrit toujours pas.

En plus de refuser aux lecteurs les informations qu'ils souhaitent connaître, cela brise l'immersion et c’est tout simplement déroutant. C'est pourquoi si vous avez tendance à omettre des descriptions, vous devrez rigoureusement suivre mes règles précédentes concernant la représentation de l'expérience du personnage de point de vue.

Les lecteurs s'attendront à ce que des personnages importants soient décrits de façon détaillée dans un roman ; cependant, je pense que vous pouvez le faire de façon légère. Indiquez clairement les informations de base du personnage et mentionnez quelque chose qui le rend unique. À moins que vous ne rendiez délibérément ambiguës ces informations du personnage de point de vue ; un narrateur à la première personne au genre non spécifié, par exemple.

Lorsque vous n'introduisez pas quelque chose de nouveau ou que vous ne vous concentrez pas sur quelque chose d'important, vous ne voulez pas que l’on ait l'impression que vos personnages flottent dans le vide. Mentionnez de temps en temps des éléments de leur environnement avec lesquels ils interagissent, comme marcher sur un sol carrelé ou s'asseoir à une table de salle à manger. Si vous avez beaucoup de dialogues, ajoutez un peu de langage corporel pour aider les lecteurs à se représenter les personnages pendant qu'ils parlent.


Les descriptions doivent renforcer l'histoire. C'est un excellent moyen de créer une atmosphère et de donner vie à votre environnement, mais ne l'utilisez pas pour étaler votre construction de mondes. Une description peut faire ressortir votre personnage de point de vue ou la personne qu'il perçoit, mais ne vous laissez pas entraîner par leurs yeux écume de mer ou vert gazon au point de ne pas tenir compte de la pertinence de ces éléments dans le contexte du moment.

 

Exceptionnellement, l’adaptation française de cet article a été réalisée par l’autrice Julie Dubois, un grand merci à elle ! L'article a été relu/corrigé par Stéphane Arnier, un grand merci à lui comme toujours.

 

Stéphane Arnier est auteur de fantasy. Entre deux romans et un concours d'écriture, il explore dramaturgie et narration sur son blog.
J'aime ? Je partage !
Catégories du blog
Vitrine Scribbook
Publicités classiques